Dans une autre vie, j'étais juive.

Je crois que cela fait bientôt deux ans que j'hésite à publier ce texte sur mon blog. Je l'avais écrit au lycée, en première, dans le cadre de mes études sur la Shoah. Nous devions réaliser une "oeuvre" pour une exposition, ce texte fut mon oeuvre. Il représente une grande partie de ce que j'ai pu apprendre et comprendre des témoignages. J'ai inventé cette histoire, et pourtant certains ont vécu une histoire véritablement similaire. Sachez que le personnage de cette histoire est réellement une victime du camp d'Auschwitz, j'ai étudié sa véritable histoire avant de rédiger mon texte, ainsi que l'Histoire de la Shoah. Il y a 70 ans, le 27 janvier 1945, les troupes soviétiques libéraient le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau en Pologne. En ce 27 janvier 2015, je trouvais cela cohérent d'enfin publier ce texte...

Dans une autre vie, j'étais juive

Dans une autre vie, j’étais juive. Remontons le temps, nous revoilà en 1914… Je viens de naitre, le 20 Juillet à Saverne (près de Strasbourg). Je m’appelle Lolotte Metzger. Mes parents sont juifs, non pratiquants. Ils n’ont jamais voulu m’imposer leur religion, c’est pour cela que nous nous rendions rarement à la synagogue mais nous aimions célébrer les fêtes juives, car on retrouvait notre famille et nos amis dans une ambiance qui était propice à la bonne humeur. Mon enfance fut simple, élevée dans une famille remplie d’amour et de complicité. Ma mère s’appelle Florette, et ma petite sœur Monique.

Lorsque la guerre éclata, je senti une certaine inquiétude chez mes parents, que je compris très vite par la suite. Dès 1940 (j’ai alors 26 ans), tous les juifs doivent se faire recenser. Mes parents, comme beaucoup d’autres, ont obéi à cet ordre. Et nous étions à partir de maintenant, des Juifs avec toute la connotation négative que ce mot comporte à l’époque. Heureusement ce statut de Juive ne m’empêche pas de garder  mon poste de caissière. Mon père fut déporté très tôt, même si officiellement la police française nous a dit qu’il partait travailler en Allemagne pour la France… Puis, la police est venue nous chercher, ma mère, ma sœur et moi, pour nous emmener ailleurs. Ce « ailleurs » fut Drancy : l’antichambre de la mort. Ce fut la première fois qu’en entrant dans un lieu je me sentais si mal. Il y avait des gens partout, j’étais impressionnée de voir tant de personnes dans un lieu fermé. La police nous demandait d’aller vite, de faire ci, et puis ça… Ma sœur (née en 1939) est alors dans les bras de ma mère, et lorsque ses yeux se posent sur les personnes autour de nous elle pleure. Elle pleure comme si elle savait… Si seulement nous aussi nous avions  pu savoir.

Le 10 Février 1944, il y a deux jours nous avons appris que nous prendrions le convoi n°68 pour partir de Drancy. Mais notre destination reste inconnue. Un bus vient nous chercher, la police nous entoure. Après très peu de temps, nous arrivons à la Gare de Bobigny… Là aussi il y avait beaucoup de monde. Et un train, avec de nombreux wagons. Pourquoi des wagons à bestiaux alors qu’il n’y a sur le quai que des Hommes ? On nous force à monter dedans. Autour de nous, des gens essayent d’échapper à la police. Notre wagon devait contenir environ 80 personnes… Un wagon qui habituellement ne contient que 8 chevaux… Le voyage fut long, et très dur. Ce fut la première fois que je voyais des gens mourir. Parfois dans le silence. Parfois en priant. Et dans le pire des cas, en criant… Les gens devenaient fous à être enfermés, debout, les uns contre les autres. Certains pleuraient. On avait faim, et soif aussi. Mais la soif pouvait parfois s’atténuer avec les stalactites trouvées à la petite ouverture du wagon. Ouverture qui nous sert de « fenêtre ».

Je ne sais pas combien de temps a duré  notre voyage. En arrivant, il faisait très froid. Vraiment très froid… On entendait des chiens aboyer, des gens d’une autre langue qui criaient. J’avais déjà entendu parler des Allemands et il me semble reconnaître leur langue. Les portes s’ouvrent, la lumière entre dans le wagon, et nous croyons à une sorte de délivrance… Des officiers s’approchent et crient « Los, Raus ! Raus ! » (Vite, dehors ! Dehors !). Pour sortir, il faut sauter du wagon. Je dois aider ma mère, mais nous sommes très vite bousculées et tombons à terre avec ma sœur. Une personne de notre wagon nous aide à nous relever mais un garde, un SS, arrive et le frappe autant qu’il le peut. Je sens alors monter en moi  la colère, mais aussi beaucoup de peur lorsque je vois qu’il emmène avec lui cet homme, plus loin derrière et que j’entendis un coup de feu…

Où sommes-nous ?

Qui sont ces gens ?

Pourquoi tant de personnes, de barbelés et de gardes ?

Auschwitz en 2009

Auschwitz, mars 2009 © Laurie Dupuis

J’aperçois d’autres personnes, avec une tenue que je qualifierais de bizarre… Ils sont très maigres, vraiment très maigres. Et puis ils portent tous le même vêtement : un pyjama rayé. Ils devaient avoir tellement froid… Ils ne parlaient pas, ou très peu. On pouvait entendre le son de leur voix seulement lorsque les gardes SS étaient loin de nous. Aussi improbable que cela puisse paraître, leurs regards semblaient noirs, sans vie, sans but… La peur m’envahit de plus en plus. Ma mère attrape notre valise, mais un de ses « bagnards » lui dit de la laisser à terre, et que nous la retrouverions plus tard… Il y a beaucoup de monde, nous suivons la foule. Il faut attendre. Mais pour quoi ? On ne sait pas ce qu’il se passe… Il me semble que ce fut au bout d’une heure ou deux que nous entendions quelqu’un crier : « Les hommes à gauche ! Les femmes et les enfants à droite ! » Il y a un mouvement de foule important, des familles ne veulent pas se séparer. Je les comprends. Je sers la main de ma mère, aussi fort que possible. J’ai 30 ans, et pourtant j’ai peur comme une enfant.

Nous devons de nouveau attendre, un garde prend nos papiers d’identité. A la machine à écrire, il met un nombre, notre nom, notre date de naissance, notre profession puis de nouveau un nombre… Ce dernier nombre fut pour moi 14607, gravé à tout jamais dans mon avant-bras gauche. Nous passons les barbelés, et découvrons de plus près des sortes de maisons. On se demande si l’on va enfin manger, prendre une douche et trouver un peu de chaleur à l’intérieur d’une des maisons. Nous étions dans le camp des femmes, et pourtant il ne semblait y avoir que des squelettes… De véritables morts vivants, sans cheveux, avec juste un pyjama rayé… On a dû suivre un groupe. Il a fallu se déshabiller, se laver sous une eau gelée puis nous avons été rasées… Quel honte pour moi, je ne me sentais plus femme. Je ne me sentais plus moi. J’étais juste une sorte d’animal. Personne n’osait se regarder dans un premier temps, car tout le monde voyait son propre reflet…

Nous aussi nous avons eu notre pyjama. Parfois trop grand ou trop petit, nous procédions aux échanges après le départ des gardes. Ces gardes SS ne savaient que crier, taper, et crier de nouveau… Nous avons très vite compris que nous étions ici pour travailler. Ma petite sœur, bien trop jeune pour ça, partit avec d’autres enfants… Je ne l’ai jamais revue ensuite. Ma mère n’est pas restée longtemps à travailler, elle fut vite malade. Elle avait 66 ans. Comme ma sœur Monique, je ne l’ai jamais revue après son départ pour l’infirmerie. Je me suis imaginée que toutes les deux étaient rentrées à la maison, que mon père était lui aussi rentré et que lorsque j’aurai fini de travailler, je pourrai les rejoindre.

Mais la réalité fut autre… Je suis tombé malade pendant le deuxième hiver, comme beaucoup d’autres. A mon tour, je suis allée à l’infirmerie. Je suis restée trois jours couchée, je pouvais enfin me reposer. Et puis il y a eu la sélection… J’ai dû partir, mais je ne savais pas  encore où. Dans le camp, les femmes parlaient de chambre à gaz. Je n’ai jamais voulu croire à cela. Jusqu’au jour où avec beaucoup d’autres femmes, mais aussi des enfants, on nous a dit de nous déshabiller et d’entrer dans une salle. On aurait pu croire à une salle de douche. Mais c’était différent, les murs étaient noirs, abimés. Les gardes ont refermé les portes, de grosses portes. Aucune fenêtre. J’avais terriblement peur. J’attendais l’eau, sans y croire vraiment.

C’est là que tout a commencé, en même temps que tout s’est fini… J’ai du mal à respirer. Ca me fait mal à l’intérieur. Les femmes autour de moi crient sans s’arrêter, de la fumée monte de plus en plus. Je ne vois plus mes jambes. Je suffoque. J’ai l’impression de sentir d’autres corps sous mes pieds. C’est une sensation horrible et indescriptible. Ne pensant qu’à vivre, je me sers de ces appuis pour me surélever, espérant éviter cette fumée qui monte de plus en plus. C’est insupportable. Les cris s’estompent. Je n’entends plus rien. Je ne vois plus rien. Mon cœur s’est arrêté. Les nazis venaient d'assassiner une Juive et pensaient que c'était une victoire. Des événements qu’il ne faut pas oublier. Une mémoire à faire passer.

Rail à l'entrée du camp d'Auschwitz

Auschwitz, mars 2009 © Laurie Dupuis

 METZGER Lolotte est inscrite sur le Mur des Noms du Mémorial de La Shoah à Paris. Cette histoire a été inventée, bien que de nombreuses personnes aient connus une histoire similaire.
Merci à Sam Braun pour son avis et son aide.

Laurie DUPUIS, "Passeur de mémoire"

shoah Sam Braun Auschwitz

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